Je me lève le matin assez frais. Même si le bourbon d’hier soir m’avait quelque peu fatigué, je me réveille les idées claires. Le Soleil éclaire l’intérieur de ma suite, qui est luxueuse. Dans un style hollandais, elle affiche de belles boiseries, lustrées et éclatantes. La moquette épaisse du sol permet de s’y mouvoir pieds nus sans se les refroidir. J’ai le droit à ma propre salle de bains, ainsi qu’à mon propre coin salon. Un véritable petit appartement. Une large fenêtre sur le côté droit de la chambre me dévoile une vue sur l’Océan Atlantique, et le ciel partiellement couvert. Il est aux alentours de 9h30. Dans deux heures nous devrions arriver en Irlande pour embarquer les dernier passagers avant la grande virée.
En attendant, je savoure un petit déjeuner à la française, sur la terrasse du Café Parisien. Un croissant accompagné d’un café, uniquement. Je ne me lasse pas du chic de cette époque. Un monde qui n’a pas encore connu les deux grandes Guerres Mondiales. Un monde qui n’a pas encore connu la crise, un monde en apparence préservé des atrocités du XXème siècle. A bord de ce qui est considéré comme le bijou technologique par excellence de ces débuts de 1900. Je finis mon café sur ces rêveries, qui vont être nombreuses je le sens.
Il est 11h30. Nous voici arrivé face à Queenstown. Pareil qu’à Cherbourg, le port est trop petit pour accueillir un tel mastodonte. Ce sont donc des navettes qui font le transfert des passagers. J’observe tout ceci attentivement depuis le pont. Il fait de nouveau nuageux, avec quelques timides éclaircies. Mais on approche des midis. Mon estomac qui gargouille m’indique qu’il faut aller manger.
12h30. Je décide de me rendre au Restaurant à la Carte. Il est vraiment magnifique ce restaurant. La pièce est inondée de lumière grâce aux immenses baies vitrées côté babord, qui se présente côté Sud. De splendides lustres ornent le plafond et achèvent d’éclairer la salle à manger. Je m’attable sur uns des fauteuils confortables d’une table située dans un coin, juste à côté d’une des fenêtres. A peine j’ai le temps de m’évader dans quelques rêveries qu’un garçon vient pour me présenter la carte. Diable que celle-ci est riche ! Il y a d’abord des hors d’oeuvres avec des canapés en tout genre, des friands. Ensuite les entrées avec divers légumes farcis, des charcuteries fines, des sautés de volailles. En plat de résistance, des rôtis de porc, d’agneau, de dinde, accompagnés de pomme de terre, de champignons avec maintes sauces, qu’elles soient financières, forestières, douces, relevées ou épicées. On entre ensuite directement dans les glaces et autres desserts, tout aussi copieux. Je n’ai même pas eut le temps de regarder la fin de la carte que déjà le garçon se présente pour prendre ma commande. Je jette mon dévolu sur quelques friands, une assiette forestière avec charcuteries et rognons, du rôti d’agneau et sa sauce champignons, un sorbet au citron, une simple salade verte et je terminerai sur un café.
13h45. Je n’ai pas vu le temps passer dans ce restaurant. Je ne me suis même pas rendu compte que nous avions levé l’ancre. En effet, je vois la côte doucement s’éloigner. La traversée, la vraie, commence. Enfin, il n’y aura pas vraiment de traversée. Tout au plus une… tentative ? Soudain, je panique un peu. Est-ce que je réussirai à survivre au naufrage ? Pourrais-je avoir le temps de trouver un canot de sauvetage ? Et que faire durant tout ceci ? Il me vient même à l’esprit l’envie d’alerter l’équipage, de leur demander de faire route plus au Sud, de ralentir la cadence. Mais je passerais au mieux pour un fou, et je me ferai trop remarquer. Or, ce n’est pas le but. Mon passage doit être le plus discret possible. Quand je discute avec des gens, je m’efforce de ne pas trop lier amitié avec eux. Cela peut paraître cruel, mais il ne vaut mieux pas que je m’attache trop, et surtout, que je modifie leur destin (dont j’ignore en fait l’issue, n’ayant pas la liste de ceux qui vont mourir et de ceux qui vont survivre). Je chasses ces idées macabres de ma tête et prends la direction de la Promenade Solaire (oui, traduction libre), afin de digérer le lourd repas de ce midi. Ce soir celui-ci ne sera guère plus léger j’en ai bien peur…
Le ciel est bien bouché en ce début d’après-midi. Je choisi de regagner ma chambre dans l’attente de voir le Soleil revenir afin de pouvoir faire un peu la sieste sur le pont. Je parviens à prendre une image correcte de mon dessin de Cherbourg et arrive à le poster. Il va falloir que je fasse attention car la batterie du macbook pro n’est plus qu’à 50%. J’en ai apporté un lot de deux supplémentaires dans mes bagages, chargées presque à fond, mais il me faudra être rapide lors de mes récits quotidiens. Je règle l’affaire en cinq minutes, et range consciencieusement la machine. Imaginez si l’on tombait dessus, en 1912…
15h30. Me voici de nouveau sur la Promenade Solaire. Et ce coup-ci, elle mérite son nom. En effet le ciel s’est déchiré pour laisser place à un grand ciel bleu, à peine voilé, et un Soleil franc. Je m’endors assez vite sur l’une des chaises longues en bois qui ornent le pont.
C’est sur les 16h20 que je me réveille, au terme d’une sieste des plus agréables. Quel calme sur ce navire ! Les gens marchent doucement, sont aimables, bien que certains se montrent un peu froids. Je m’avance sur le bastingage. Je cherche du regard la moindre côte, le moindre élément de paysage. Rien. Nous sommes bel et bien en haute mer, quelque part au large des Îles Britanniques. Dire qu’une bonne partie de la population de ce navire ne reverra plus jamais la terre ferme… Le navire lui même d’ailleurs.
Je voudrais bien prendre le temps de faire un dessin, mais je n’en ait pas trop l’envie. Je préfère flâner sur le pont, m’arrêter parfois pour discuter, me faisant interrompre dans ma marche aussi par des gens qui veulent également discuter. Je fais d’agréables rencontres quoiqu’il en soit. Il y aura d’autres lieux à visiter, à explorer dans ce navire. Je compte tous les visiter, même si le temps sera un peu serré pour tout faire.
La fin de la journée se profile, avec le Soleil se couchant, ce qui renforce les teintes ocres des imposantes cheminées du paquebot, qui lâchent leur épaisse fumée noire. Je regagne ma suite pour me changer pour la soirée. En effet il est d’usage de changer plusieurs fois de costume dans la journée quand on est en 1ère Classe. Aussi, j’opte pour un smoking noir, avec noeud papillon, après avoir fait ma toilette rapidement.
20h. L’heure du repas. Tout d’abord, la réception habituelle au pied des grands escaliers, où l’on boit quelques apéritifs et fume quelques cigares. Vient ensuite le repas du soir, que je choisis de prendre dans la salle à manger traditionnelle. Je réussis à trouver, parmi les passagers, le capitaine du Titanic, le Commandant John Edward Smith. Fidèle au photos que j’avais pu voir de lui sur les livres et Internet. Barbe blanche, un peu grisonnante, bien bâti. Il ne porte pas sa casquette, qu’il préfère mettre sous son bras, par bienséance. Je le vois s’asseoir sur la table centrale du restaurant.
Repas bien copieux ce soir aussi. Foie gras en entrée, arrosé de Sauterne. Je le trouve bien meilleur que celui de nos jours. Cela ne m’étonne guère. J’ai droit ensuite à une entrecôte entourée d’une farandole de légumes variés (aubergine grillée, concombre sauté, etc.). Le dessert, suivi d’une salade, puis par des pâtisseries, se termine sur des fromages. Très copieux comme repas ! C’est à peine s’il me reste de la place pour le café.
Je finirais la soirée au fumoir 1ère classe, et j’y rencontre des visages connus, ceux de la nuit dernière. Je décide de moins boire ce coup-ci. Sage décision car mon retour dans ma suite, qui s’effectuera sur les 23h30, se fera l’esprit clair, notamment pour rédiger mon texte.
Pas de dessin à vous proposer pour aujourd’hui. Mais demain, je me fais une promesse de vous faire une vue depuis la Promenade Solaire.