Le Soleil est en colère.
Un pic d’activité comme on en avait plus vu depuis des décennies.
A sa surface, ça bouillonne, ça maelström, les lignes de champs magnétiques, parcourues de plasma surchauffé, éclatent.
Fracas. Explosions.
Et dans le silence absolu du vide spatial, la couronne elle-même, portée à plusieurs millions de degrés Celsius, est emportée.
En direction de la Terre.
Le lendemain, je décide d’immortaliser un groupe de taches solaire gigantesque.
Nous sommes le Vendredi 10 Mai 2024. A la veille de mon anniversaire, où je célébrerai 39 années passées à la surface de ce monde. J’ai sorti mon télescope 200/1000 équipé de son filtre Astrosolar pleine ouverture pour immortaliser cette image incroyable du Soleil, avec un groupe de tache immense. De mémoire, le dernier aussi gros date de 2003, quand à cette époque là, je faisais des relevés au dessin de l’astre du jour.
Détails de l’image : acquisition sur Canon EOS 70D, au foyer. 20 images alignées, empilées et traitées dans Lynkeos, avec un post-traitement dans Darktable.
Ce groupe de taches solaire est responsable de plusieurs éruptions solaires de classes M et X. C’est à dire de puissantes éruptions, capables de provoquer d’importantes aurores polaires.
Les particules solaires, chargées, ionisées, traversent avec fulgurance le vide interplanétaire. Elles semblent pouvoir voyager à tout allure, tout droit dans les confins du Système Solaire. Mais quelque chose se produit auquel elles ne s’attendaient pas. Un champs magnétique les dévie. Pas n’importe lequel. Le notre. Celui dont l’existence a permis à la vie d’émerger.
Mais elles sont nombreuses, très nombreuses, parcourues de charges électrostatiques pouvant faire plier n’importe quel champs. Elles poussent elles poussent. Elles semblent vouloir toucher la Terre. Finalement, la Terre gagne.
Sur les forums d’Infoclimat, dans le sujet consacré au suivi de l’activité solaire, c’est un bouillonnement. Cette activité solaire n’est pas passée inaperçu dans l’œil des spécialistes. Et il est annoncé un formidable spectacle nocturne. En effet, la bouffée de particules solaire sera telle que des aurores boréales pourraient être visible en France. Partout en France. Je suis tout ceci avec attention, étant moi-même membre active au sein de la communauté de passionné.e.s de météo, dont l’association fêtera ses 20 ans, le 11 Mai également.
Je me dis que cette fois-ci, je vais faire les choses bien. Trouver un très bon point de vue dans les alentours de Saint-Astier. Et j’en trouve un : au sommet du village Léguillac-de-l’Auche, au lieu-dit Les Granges. Et le ciel est au beau fixe, avec des hautes-pressions depuis quelques jours, l’air est sec, sans nuages. Et la Lune est encore jeune, donc elle ne va trop gêner les observations.
Le repas terminé, je me dirige vers ce point de vue inédit pour moi. Le Soleil est déjà couché, le crépuscule est là, mais il s’éteint de minute en minute.
Remarquable point de vue, bien dégagé sur presque tous les horizons.
Les particules solaires survolent les pôles terrestres, suivant les lignes du champs magnétique de la planète. Mais elles vont vite, très vite. Trop vite. Et de nouveau, quelque chose auquel elles ne s’attendent pas. Elles reculent, elles repartent vers la Terre. Elles pourraient presque la toucher.
Le ciel s’assombrit. Mes yeux croient distinguer quelque chose. Serait-ce ?
Les particules solaires heurtent violemment d’autres particules, des atomes. Des électrons sont éjectés de leurs orbites. Ce faisant, des photons sont produits, qui partent déjà à la vitesse considérable de 299 792 kilomètres par seconde.
J’ai du mal à y voir, je prends une photo.
Patience.
Je prends une autre photo.
Les photons sont tellement nombreux que les ténèbres s’illuminent. De partout.
Oui ! C’est bien ça. L’aurore boréale est là. Fantomatique. Presque insaisissable au regard. Je n’en reviens pas.
Une autre photo. Vite !
Je n’en crois pas mes yeux. Enfin ! Une aurore boréale ! La toute première de ma vie. Je me précipite, je ne veux rien manquer.
Je ne le sais pas encore, mais je m’apprête à vivre l’une des nuits les plus inoubliables de mon existence.
Les draperies célestes se renforcent, profitant aussi de la nuit qui s’installe tout à fait.
Puis, les voiles diaphanes semblent s’estomper.
Mon regard ne parvient plus à voir si l’aurore est toujours là. Mais les photos semblent montrer qu’un halo écarlate est toujours là.
Je continue à faire des photos. Voir si je ne manque rien.
Je me dis que c’est déjà bien. J’ai vu ma première aurore boréale, je n’en reverrais peut-être plus. Je suis déjà comblée.
Mais.
Ai-je eu raison de rester ?
Attends.
Et comme dans Twin Peaks de David Lynch, des rideaux apparaissent du fond de la nuit.
Ce sera parti pour plus d’une heure de spectacle céleste hypnotisant, enivrant, inédit. Je n’arrêterai pas le déclencheur de mon appareil photo.
La Lune en croissant se couche derrière l’aurore. Entretemps, j’ai du passer à 10 mm, pour un champs maximum, depuis la première salve au crépuscule. Et le champs n’est pas suffisant pour contenir l’ampleur de ce phénomène, qui barre le ciel de l’horizon Est à Ouest.
Visuellement c’est difficile à expliquer. On voit des piliers se creuser, des plis se former, doucement, parfois plus rapidement, mais jamais sans à-coups, jamais brutalement. C’est doux. Il y a cette lueur qui en émane, insaisissable. Les couleurs sont difficiles à distinguer, car de nuit, la rétine humaine perds sa sensibilité aux couleurs et, de la même manière que les nébuleuses au télescope, tout est en niveaux de gris, avec parfois quelques pointes légèrement rosées, légèrement vertes, mais toujours très désaturé.
Si je devais décrire, c’est comme si une immense nébuleuse apparaissait dans le ciel, comme si la Terre entière était déplacée dans un espace-temps différent.
Je tente un panorama, pour saisir l’ensemble du phénomène.
Et puis je comprends désormais pourquoi « aurore ». Parce que cette lueur évoque les premières lueurs du jours marquant la fin de la nuit. Comme si le jour allait se lever. Alors que non.
Le cliché de dessus je l’ai pris pour englober le zénith et pour montrer l’étendue verticale du phénomène qui dépasse désormais Polaris, visible sur cette image, en direction de la Grande Ourse.
Un autre panorama, qui montrent des nouveautés dans l’aurore, avec des zones vertes plus lumineuses à la base des draperies. C’est vraiment éphémère, et ce panorama résume deux instants, un à l’ouest puis un à l’est. J’essaie de me rappeler que je suis toujours en Dordogne.
Je me dis que rien ne peut arrêter ce spectacle. C’est comme de la magie.
Désormais, les colonnes semblent presque toucher le zénith sur ce cliché.
Je ne sais plus où donner de la tête. Je tremble de surexcitation.
De nouveau des fugaces apparitions aux pieds des colonnes.
Il est désormais plus d’une heure du matin. Et l’aurore semble faiblir, bien qu’occupant encore une grande partie du ciel.
Il semblerait que l’éruption aurorale arrive à bout de souffle. Je saisis les derniers instants.
Ceci sera le dernier cliché de la soirée, l’aurore est désormais à peine visible. Il est presque 1h30 du matin. Nous sommes le 11 Mai.
Je me déciderai à rentrer, ignorante encore de l’impact de ce phénomène en moi.
«J’ai vu une aurore boréale, ici, chez moi, en Dordogne.»
Je n’arrêterai pas de me répéter ces mots dans ma tête, pour ancrer tout ça dans le réel. C’était surréaliste. J’apprendrai que l’aurore boréale aura duré jusqu’au lever du jour.
Mais cela importe peu. Car j’ai vue une aurore boréale, ici, chez moi, en Dordogne.
Fantastique !